Fondane et Freud : Un dialogue impossible ?


La bibliothèque de Benjamin Fondane contient un livre de son ami Denis de Rougemont, Politique de la personne[1], sur la page de garde duquel Benjamin Fondane écrivit  quelques lignes d’une critique tranchante, ironique, voire implacable sur Freud : « Il y a antinomie  chez Freud entre sa découverte de génie et ses conclusions de petit professeur plein de petits préjugés scientifiques. Il ramène tout et au-delà à des forces immenses, obscures, déraisonnables et avec ça veut nous faire une leçon de quat’sous. Il agrandit l’homme démesurément par ses découvertes et le rapetisse misérablement par ses conclusions. Il a tellement peur que sous chaque petit mystère de ou dans l’homme, il y aura du transcendant – ou l’on supposera du transcendant – qu’il préfère nier le mystère en l’expliquant tout de suite. » [2]

L’on ignore pourquoi Fondane a griffonné ces réflexions dans Politique de la personne, où Freud n’est pas mentionné. Toujours est-il qu’il s’est intéressé à Freud à maintes reprises. Signalons le chapitre XIII de Rimbaud le voyou, centré sur la libido ; le chapitre « Bergson, Freud et les dieux » dans La Conscience malheureuse, ainsi que de nombreux passages de Baudelaire et l’expérience du gouffre.

Y aurait-il chez Fondane une condamnation sans appel de la psychanalyse, sans droit de réponse ? Je refuse, compte tenu de l’homme Benjamin Fondane, de l’entendre ainsi. Bien au contraire j’y entends une chance pour la psychanalyste de mieux se comprendre dans ses limites et dans l’espace de sa propre recherche, en fidélité à Freud, lui qui n’a pas cessé de reconnaître que le poète sait intuitivement ce que le psychanalyste cherche si longtemps et si laborieusement.[3] Freud est si sensible aux intuitions des poètes qu’il doit, pour frayer sa propre route d’homme de science, mettre à distance certaines de ces œuvres « pour faire passer du côté de la science ses hypothèses sur la subjectivité humaine ».[4]  Est-ce cette exigence intérieure à traduire en système de pensée une expérience subjective inédite que Fondane conteste, lui, qui devint philosophe pour dire son expérience poétique ? Je ne le pense pas. La critique de Fondane n’attaque pas la pensée conceptuelle, mais l’hégémonie d’un certain rapport au rationnel. Certes Freud est médecin et scientifique, il montre un goût certain pour l’élaboration d’un système de pensée, mais n’oublions pas que le geste décisif du Freud inventeur de la psychanalyse fut de se dessaisir du savoir médical et du regard observateur du scientifique pour obéir à l’injonction de sa patiente Fanny Moser – « Ne bougez pas. Ne dites rien ! Ne me touchez pas ! »[5] - l’assignant à une autre place. Dans cette conversion du regard à l’écoute, Freud consent à ce que le savoir et la parole changent de camp, mais il le fait en se saisissant de ce nouveau savoir, inventant une technique thérapeutique et une théorie des maladies de l’âme. Le lieu de la découverte de la psychanalyse est avant tout la relation à l’autre, le sol de la théorie psychanalytique est le transfert, ce fond pulsionnel et affectif ramené à la surface dans la relation à l’autre. L’oublier est faire de la psychanalyse adaptative, c’est en trahir la vérité effective qui est d’affronter l’énigme de la sexualité et de la demande de et à l’autre. Mais il est vrai que ce qui porte Freud est avant tout le désir de comprendre.

Alors que Freud a entre 16 et 18 ans, il écrit  à son ami Eduard Silberstein [6] : « Jamais auparavant je n’avais goûté la belle sensation que l’on peut nommer le bonheur académique […] : être assis au bord de la source où la science jaillit avec le plus de pureté et en boire une bonne, une authentique gorgée ». [7] Malgré son goût pour l’écriture, pour les mots, et pour sa langue maternelle, Freud ne sera ni poète ni écrivain. Il sera un savant dont la pensée sera résolument scientifique. Pourtant, tout en ne cessant d’interroger l’origine du génie créatif, il ne le réduira pas à une explication psychologique à la différence de Marie Bonaparte.[8] Sur un autre plan, Freud ne reniera jamais son appartenance au judaïsme, mais mettra, là aussi, à distance, les idéaux religieux qui traversent son histoire familiale. Cette distanciation lui permettra d’analyser les contradictions, les incohérences, les impasses et les ambiguïtés de la croyance religieuse. Nécessaire « philosophie du soupçon ». Mais il le fera, avec Avenir d’une illusion, dans un mélange « de positivisme, de scientisme et d’athéisme »[9] qui n’a pas échappé à Fondane. L’homme Freud est fait de contradictions, se gardant de reconnaître en public que la science a des limites - une partie de la réalité lui restant inconnaissable – mais avouant en privé que la réalité religieuse comme certaines formes de l’art lui sont inconnues. Répondant à son ami Romain Rolland [10] qui regrettait que dans son livre Avenir d’une illusion Freud n’évoque pas, à côté de sa critique de la religion, « le sentiment religieux », plus précisément « la sensation religieuse », Freud répond : « Combien me sont étrangers les mondes dans lesquels vous évoluez ! La mystique m’est aussi fermée que la musique. » Une manière d’avouer sans avouer ne rien vouloir en savoir. Mais cela n’échappe pas  à l’oreille sensible du poète.

Tout semble donc séparer Freud et Fondane. Ils ne se rencontreront pas, ni en esprit ni en chair et en os. Pourtant  ils avaient en commun les qualités d’hommes exceptionnels. Freud était lui aussi un homme de grande culture littéraire, « lecteur omnivore » depuis sa plus tendre jeunesse, sa bibliothèque n’avait certainement rien à envier à celle de Benjamin Fondane, lui aussi d’une immense curiosité intellectuelle, observant ou lisant ses semblables pour essayer de pénétrer ce qui était la dynamique la plus profonde de leurs vies, mais là s’arrête l’analogie entre ces deux hommes. Non ! Encore un détail : Jassy. Ville d’origine de Benjamin Fondane, ce nom de ville croisa le destin de Freud, un frère de son père y habitant et Jassy était la ville originaire de son ami Eduard Silberstein. Mais reconnaissons que Fondane n’attendait rien de Freud, contrairement à certains surréalistes, André Breton pour ne pas le nommer.[11] Pourtant j’ose supposer que si Fondane avait eu accès, comme nous aujourd’hui, à tous les textes, la correspondance, les témoignages rendant compte de la complexité et de la richesse de l’homme Freud, il ne l’aurait pas qualifié de « petit professeur plein de préjugés scientifiques », tout en portant sa critique au cœur de l’œuvre comme il savait si bien le faire, sans séparer l’homme de son œuvre, la matière de l’œuvre étant l’existence même de son auteur.[12] Mais pour cela encore aurait-il fallu qu’il puisse faire la différence entre l’homme Freud et le mouvement psychanalytique. Et pourtant, tel est notre étonnement, sans avoir accès à l’histoire de Freud, Fondane en a entendu la part cachée en lui.[13] Quelle est-elle ? Le 7 mai 1900, Freud écrivait à Wilhelm Fliess : « Aucun critique n’est mieux que moi capable de saisir clairement la disproportion qui existe entre les problèmes et la solution que je leur donne […] Quand au cours de la lutte le souffle a failli me manquer, j’ai prié l’Ange [14] de renoncer, ce qu’il fait depuis. Je n’ai pas eu le dessus et maintenant je boite nettement […] J’ai déjà bel et bien quarante-quatre ans et je suis un vieux juif miséreux ».[15] Ce n’est pas l’Ange qui renonce, mais Freud par manque de souffle (de Foi ?). Désormais, il ira sans l’Ange de Dieu. Cette lutte dans l’ombre, j’ose supposer que Fondane l’a connue, mais lui ne renoncera pas, il en sortira résolument Irrésigné ! Cela ne contredit pas le fait qu’il y a chez Freud comme chez Fondane, une exigence d’authenticité qui ose dire le fond obscur de notre être, si souvent misérable, envieux, jaloux… jusqu’à la possibilité de cet inhumain dont Benjamin Fondane eut l’intuition dès 1933 et devant lequel Freud resta plus hésitant. Freud tente de comprendre, de décrire et de conceptualiser, là où Fondane vit intensément la tragédie humaine. Freud préserve la suprématie de la Raison là où Fondane se révèle déraisonnable : 

 

Je veux aller plus loin que moi –

Á moi les ruptures, les foudres, le visage choquant des gouffres

l’haleine des chacals pisseux,

la parole du dieu à l’ail,

à moi les pustules, les plaies, les saignées et les fièvres,

la courbature des mondes,

le froid tremblement des glaçons,

Á moi l’unique Cri

froissé comme un papier dans la gorge du Temps.[16]

 

Ni Freud ni Fondane n’ont renoncé à leur question irréconciliable, c’est pourquoi ils ne pouvaient se rencontrer, si ce n’est dans notre propre expérience[17] entre psychanalyse et pensée existentielle. L’un thématise l’inquiétante étrangeté, ce familier refusé et devenu étranger à la conscience, porteur d’angoisse ; l’autre rend compte de l’expérience poétique de la Transcendance, cet Autre radical qui pour certains se donne à entendre et rencontrer dans la matérialité du texte biblique. Deux manières de parler de deux formes d’un au-delà du connu : Freud veut comprendre, Fondane vit l’Indicible tel celui qui certes « continue à penser mais ne pense plus du tout de la même façon que ceux qui, étonnés par ce que le monde leur fait découvrir chaque jour, essayent de comprendre la structure de l’univers ».[18]

En 1923, Benjamin Fondane arrive dans une France rétive aux théories viennoises, malgré tous les efforts de Marie Bonaparte. Il ne pouvait y avoir plus décevante médiatrice entre Freud et Fondane que Marie Bonaparte, elle-même psychanalyste, non-médecin, mais fascinée par un « organicisme démesuré », plus médecin que les médecins et dont l’œuvre littéraire est pauvre. Il aurait mieux valu, à mon avis, Lou Andreas Salomé ! Quant au milieu médical psychiatrique de l’époque, à majorité chauvin, germanophobe, soucieux de préserver ses idéaux, il n’aura de cesse de réduire la psychanalyse à une activité médicale, ce que Freud a toujours refusé, notamment en défendant ardemment la position des analystes non-médecins.[19] Le milieu littéraire, lui, reçut la psychanalyse soit comme une nouvelle mode appréciée des salons littéraires parisiens, soit comme une authentique découverte, un nouveau champ de connaissance, ce fut le cas des surréalistes, certains s’engageant dans une analyse personnelle, Michel Leiris, Georges Bataille, Raymond Queneau… Le surréalisme aura donc été en France au service de la psychanalyse, même si parmi les surréalistes certains ne partagent pas l’enthousiasme pour la psychanalyse, tel Tristan Tzara. Fondane lui-même prit ses distances vis-à-vis du surréalisme comme de la psychanalyse.

Le judaïsme aurait-il pu être l’occasion d’un dialogue entre ces deux hommes, construisant un pont entre Athènes et Jérusalem, Rome (qui fut si importante pour Freud) et Jérusalem ? Rien n’est moins sûr, car si Fondane n’a pas cessé, tout au long de sa vie, de « redéfinir son judaïsme »,[20] Freud, quant à lui,  témoignera d’une ambivalence à l’égard de ses origines juives. Pourtant l’un et l’autre connurent l’exil et sa nostalgie d’une Terre Promise, ce havre qu’on cherche et qui est introuvable.[21] Certes, le fils de Freud, Martin Freud, exprime de sérieux doutes sur la prétendue antipathie de Freud pour Vienne, mais à lire l’historienne Elisabeth Roudinesco nous comprenons que le sentiment de Freud pour sa ville de Vienne était contradictoire : il la « détestait » comme un exilé qui se sent étranger, elle n’est pas sa ville natale, il ne veut même pas en faire le siège de son association internationale en 1910 (il choisira Zurich), pourtant il ne la quittera que très difficilement en 1938, alors qu’elle est aux mains des nazis. « Comme juif, écrit l’historienne, Freud se sent décentré et comme théoricien de l’inconscient il y est fixé. »[22] Par ailleurs Freud n’a jamais témoigné d’aucune sympathie pour le mouvement sioniste et il n’a pas eu de contacts personnels avec Theodor Herzl, bien qu’ils aient vécu tous deux à Vienne[23] à une même époque.

Enfin, en 1934, dans sa préface à la traduction en hébreu de  Totem et Tabou, il écrit qu’il s’est entièrement libéré de la religion de ses ancêtres comme de toute autre. D’ailleurs, ne s’est-il pas déclaré très tôt[24] matérialiste, résolument rationaliste et positiviste comme son premier professeur de philosophie, Franz Brentano ! Et même si Freud se disait prêt à croire si on lui amenait la preuve de Dieu, Fondane  n’aurait pas été dupe, il n’aurait pas un instant douté que devant « les meilleures et les plus solides preuves, Freud se refuserait encore à croire […] et fût-il obligé de les admettre il en serait grandement contrarié ». [25] C’est ce qu’il affirme dans le chapitre de La Conscience malheureuse :  « Bergson, Freud et les dieux ». Décidément, Benjamin Fondane est un fin psychanalyste ( ! ), il sait que derrière toutes ces raisons se cache la peur irraisonnée de celui qui certes a su et pu accepter de se laisser décentrer par la découverte de l’inconscient et l’énigme de la sexualité, mais ne peut soutenir le mystère de ce qui échappe à toute prétention de conceptualiser Dieu, Transcendance, Altérité radicale. Les mots peinent à le dire, peu importe, car il s’agit d’écouter, dans son œuvre et dans sa vie, celui qui vit de et par ce mystère, le poète existentiel ayant traversé sa propre peur et son propre vertige, entre  Exode  et  Titanic.

Ainsi, ni une terre  ni une croyance en Dieu ne font la judéité de Freud. Quoi donc alors, car à la question : « Qu’y a-t-il de juif en vous ? » - Freud répondait : « Pas grand chose mais probablement l’essentiel » ? [26] Freud n’a jamais renié l’appartenance à son peuple tout en gardant, au-delà de tout particularisme, le souci du caractère universel de l’Inconscient et de la psychanalyse. Et il ne reniera pas sa singularité comme Juif. Freud, qui demandait à la foi de se justifier devant la raison, n’aurait pu comprendre que pour Benjamin Fondane, cette singularité puisse prendre aussi appui sur une lecture existentielle des textes bibliques, tout particulièrement du Livre de Job.[27] L’obstacle à la rencontre entre Freud et Fondane est donc le rationalisme du premier et la foi[28],  née des ténèbres et d’une lutte avec le Dieu de Job, du second, car à Dieu rien d’Impossible ! Chimère pour l’un, sagesse pour l’autre !

Ce que Benjamin Fondane reproche à Freud, c’est de ne pas reconnaître que la science n’est pas le seul mode de connaissance, qu’elle a des limites, qu’elle ne peut avoir le dernier mot sur l’homme, sa vie, son âme. Et si la psychanalyse est « science », science de la psyché, science de l’inconscient et de son inquiétante étrangeté, elle a, elle aussi, ses propres limites, il reste de l’Inconnaissable décisif dans le devenir d’une subjectivité, autre que l’inconscient lié à une histoire familiale et personnelle, une autre vérité constitutive d’un sujet. L’au-delà du connu dont témoigne le poète n’est pas l’inquiétante étrangeté de l’inconscient mais une radicale Altérité, et aller chercher la vérité auprès de Job, écrit Chestov, revient à mettre en doute les fondements même et les principes de la philosophie[29] et à interroger - vais-je ajouter - la limite de l’espace de la psychanalyse. Aller chercher la vérité de son être du côté des textes bibliques est aussi, de nos jours, s’exposer au mépris d’un monde où domine la méprise sur la portée existentielle de ces textes si souvent réduits à une croyance religieuse, ou à une chimère, un monde où la peur du mystère du transcendant est prompte à se retourner en haine. [30] La meilleure défense n’est-elle pas de s’empresser de construire un pont « cartésien » là où le poète se sait sans garantie, sans évidences, sans certitudes, sans appui et pourtant vivant de cette solidité paradoxale ? [31]

Ce n’est pas auprès de Job que Freud va chercher la vérité de son être mais auprès de figures de meneurs d’hommes comme « Hannibal, Alexandre ou Moïse, non le Moïse du Buisson ardent[32] répondant à l’Appel de son Dieu, mais  celui qui conduit son peuple dans le désert vers la Terre Promise. Freud ne cherchera pas le pouvoir, ni le commandement, mais il sera le Maître incontestable et jaloux de sa théorie psychanalytique qu’il ne protègera pas de sa dégradation en doctrine. Depuis, les psychanalystes se regroupent en sociétés, faisant corps et cause commune autour de l’œuvre théorique du Maître, mais aussi de maîtres, non sans passion transférentielle.

La relation de Fondane aux figures de père qui l’ont édifié n’est pas la même que celle de Freud : pour Fondane, le père est une figure positive, aimante et digne, inscrivant le fils non seulement dans une tradition familiale[33] mais dans une fidélité qui ne renoncera pas, une fidélité irrésignée face au Mal ; pour Freud, la figure paternelle sera plus inquiétante dans son ambivalence, aimée et en même temps haïe dans sa défaillance, il lui sera très difficile de se donner le droit intérieur de dépasser ce père si peu cultivé et humilié comme Juif.[34] La relation de Maître à disciple entre Léon Chestov et Benjamin Fondane fut d’une toute autre nature, nourrie d’affection et de respect mutuel, sans aliénation du maître au disciple  du disciple au maître, car ni l’un ni l’autre n’a essayé d’échapper « au mystère du transcendant », ce lieu qui creuse l’espace intérieur de l’expérience d’une solitude extrême, socle d’une singularité. La Foi comme la poésie n’est pas une Cause à défendre, mais elle a besoin de témoins vivants et d’amis qui ne soient pas « tièdes ».[35] Benjamin Fondane ne cesse d’être ce témoin pour nous.

 

Mais je m’avance dans la nuit

Plus seul d’être avec moi que d’être seul,

que me veux-tu l’Esprit ?

J’entends les éléments craquer leur cosse,

la main de feu écrire sur l’ardoise,

petit, petit, et sans courage,

avec un cœur de gosse dans mes reins,

avec un sexe d’homme sur l’épaule [36]

 

Aller vers Job - à la suite de Léon Chestov et Benjamin Fondane - quand on est psychanalyste, c’est marquer la limite entre l’expérience de la psychanalyse et l’expérience de la Foi, c’est pouvoir cesser de justifier la seconde devant la première afin de pouvoir concilier en soi l’une et l’autre, c’est reconnaître à un moment que l’on ne peut se comprendre soi-même que devant le Dieu de Job, en dépit des malentendus, de l’incompréhension du milieu social et de ses « amis », en dépit de sa propre peur ; c’est se démarquer du discours du maître et donc être seul(e), voire à la marge, c’est aussi avoir le courage de son histoire, de ses blessures, ne pas faire l’économie de son inconscient, de l’histoire de son désir et de ses Objets. Aller vers le penseur privé, c’est pouvoir, pas à pas, concilier en soi le tragique d’Œdipe et le tragique de Job, Athènes et Jérusalem… Freud et Fondane.

 

Note de l’éditeur

Trois autres articles ont traité de la relation de Fondane à Freud et à la psychanalyse :

Cahiers Benjamin Fondane, N0 4, Michaël Finkenthal : «Benjamin Fondane et la psychanalyse ».

Cahiers Benjamin Fondane, N0 12, Margaret Teboul : « De la naissance des dieux à la mort de Dieu » ;  Alice Gonzi : « La philosophie comme mandication symbolique de Dieu ».

         

 

 

 

 

 



[1] Conservé dans le Fonds Gadoffre de la Bibliothèque de Marne-la-Vallée : Cf Cahiers Benjamin Fondane, N0 4, 2000-2001, p. 55.

[2] C’est nous qui soulignons.

[3] En 1922, Freud écrit à  Schnitzler : « En me plongeant dans vos splendides créations, j’ai toujours cru y trouver derrière l’apparence poétique les hypothèses, les intérêts et les résultats que je savais être les miens. » Cf. E. Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France – Jacques Lacan, Paris, La Pochothèque, 2010, p. 115.

[4] Ibid.

[5] Ibid., p.67.

[6] Eduard Silberstein, né à Jassy en 1856 et décédé à Braïla en 1925. Sa correspondance avec Freud s’étend sur une longue période : ils y échangent des réflexions en matière de littérature, d’art et de science.

[7] S. Freud, Lettres de jeunesse, Paris, Gallimard, 1990, p. 152.

[8] Cf. article de Benjamin Fondane sur le livre de Marie Bonaparte à propos d’Edgar Poe :  « Psychanalyse d’Edgar Poe », Cahier bleu, N°8, 22 janvier 1934, p. 75-77, repris dans les Cahiers Benjamin Fondane, N04, 2000-2001, p. 55-59.

[9] H. F. Ellenberger, Á la découverte de l’Inconscient, éditions Simep, 1974, p. 458.

[10] H. et M. Vermorel, Correspondance Freud- Romain Rolland - 1923-1936, Paris, PUF, 1993, p. 423.

[11] « C’est ainsi qu’un jour du mois d’octobre 1921, celui-ci frappe à la porte de Freud, très excité à l’idée de rencontrer le novateur auquel il a envoyé une lettre enthousiaste. Freud le reçoit à sa consultation de l’après-midi et le fait attendre au milieu de ses patients. Le poète a le temps de contempler quelques gravures allégoriques ornant les murs et de s’arrêter sur la photo du maître entouré de ses disciples. Quand son tour vient, il pénètre dans le célèbre cabinet et se trouve face à un vieillard sans allure, racontera-t-il, qui ne s’intéresse pas au mouvement dada. Breton tente d’animer la conversation, parle de Charcot et de Babinski, mais Freud lui répond par des banalités. Á la fin il le salue aimablement en lui disant : « Heureusement nous comptons beaucoup sur la jeunesse. » Breton mettra des années à se remettre de la déception éprouvée et c’est dans un compte rendu rageur qu’il relate sa rencontre en des termes violemment dadaïstes. » Cf : E. Roudinesco, op. cit., p. 599.

[12] B. Fondane, Baudelaire et l’expérience du gouffre, Paris, Seghers, 1972, p. 47.

[13] En 1906, Freud écrit à Schnitzler,  alors qu’il constate que les vues de l’écrivain sur la psychologie et la sexualité sont proches des siennes : « Je me suis souvent demandé d’où vous teniez la connaissance de tel ou tel point caché alors que je l’avais acquise que par un pénible travail d’investigation et j’en suis venu à envier l’écrivain que déjà j’admirais. ». E. Roudinesco, op. cit., p. 115.

[14] Gn 28 (22).

[15] S. Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904, édition complète, Paris, PUF, 2006, p. 521 et, sous la censure de Marie Bonaparte et Anna Freud, La Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1956.

[16] B. Fondane, Poèmes retrouvés, Présentation de Monique Jutrin, Parole et Silence, 2013, p. 50.

[17] J’emploie ce mot dans son sens étymologique : experiri, soit une traversée  qui n’est pas sans péril ni sans danger.

[18]  Chestov, Kierkegaard et la philosophie existentielle, Paris, Vrin, 2006, p. 38.

[19] S. Freud, La Question de l’analyse profane, Paris, Gallimard, 1985.

[20] B. Fondane, Á la recherche du judaïsme, Textes réunis par Monique Jutrin, Parole et Silence, 2009.

[21] B. Fondane, Le Mal des fantômes, Paris, Verdier, 2006, p. 33.

[22] E. Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France – Jacques Lacan, op. cit., p. 116. 

[23] H.F. Ellenberger, op. cit., p. 488, note 192.

[24] S. Freud, Lettres de jeunesse, op. cit.

[25] B. Fondane, La Conscience malheureuse, Paris, Verdier, 2013, p.186.

[26] Propos rapporté par l’historien H.F. Ellenberger, op. cit., p. 488.

[27] Et cela même si le jeune Freud s’imprègnera de la langue biblique durant sa scolarité au contact de Samuel Hammerschlag, son professeur d’hébreu, qui l’aidera aussi à financer ses études et dont il dira : « Dans son âme brûlait une ardente étincelle de cet esprit des grands prophètes du judaïsme » : Cf. E. Roudinesco, Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre, Paris, Seuil, 2014, p. 24.

[28] B. Fondane, La Conscience malheureuse, Paris, Verdier, 2013, p.186 : « avant tout, avant de demander ou de fournir des preuves, pour ou contre, les hommes souhaitent et sentent affectivement la présence ou l’inexistence de telles ou telles choses ; ils les désirent ou les haïssent passionnément ». Fondane reprend la leçon de Freud à son compte, rappelant le fond pulsionnel et affectif de toute croyance et certitude, fussent-t-elles scientifiques ! Il poursuit : « Et il arrive souvent qu’ils désirent ce qui n’est pas, mais aussi qu’ils souhaitent l’inexistence de ce qui est. Ils font un grand gaspillage d’illusions – en ceci Freud a raison – mais il fait erreur lorsqu’il croit que l’illusion consiste uniquement à supposer « existant » ce dont on a besoin : l’illusion témoigne également de sa vitalité dans l’acte de supposer, ou de décréter inexistant ce qui nous gêne. A l’illusion de la foi créatrice s’oppose l’illusion de l’anti-foi destructrice.»

[29] L. Chestov, op. cit., p. 49.

[30] Haine de l’Autre, haine du Désir.

[31] B. Fondane, Baudelaire et l’expérience du gouffre, op. cit., p. 18.

[32] Exode 3(1-6).

[33] B. Fondane, « Un frère de ma mère : le Docteur E. Schwarzfeld », Entre Jérusalem et Athènes, Benjamin Fondane à la recherche du judaïsme, op. cit., p. 33.

[34] E. Roudinesco, Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre, Paris, Seuil, 2014, p. 27.

[35] Apocalypse de Jean 3(16).

[36] B. Fondane, Poèmes retrouvés 1425-1944, op. cit., p. 24.